Alsacien et allemand, exemples

L'attitude incertaine par rapport à la graphie allemande conduit parfois à des situations cocasses.

Premier exemple : Dans un texte en alsacien, j'ai trouvé le mot Kerzewej (écrit de cette manière). Comme l'auteur évoquait une pratique catholique ancienne, et que je suis de tradition protestante, je n'ai pas su comment lire ce mot, et j'ai d'abord interprété "Kerzenweg" "chemin de cierges", imaginant un itinéraire marqué par des cierges placés par exemple tous les deux pas. Mais il s'agissait de "Kerzenweihe" "bénédiction de cierges".

Pourquoi l'auteur n'a-t-il pas écrit Kerzeweih, ce qui aurait été une forme à la fois très proche du mot allemand et parfaitement adéquate pour rendre la prononciation dialectale ? Voici pourquoi : il écrivait habituellement ei les diphtongues [ai] (mer meint "on croit", ich weiss "je sais", etc.), ce qui est une mauvaise habitude quasi universelle chez les auteurs dialectaux ; du coup, weih risquait d'être prononcé [vai], d'où le choix de la lettre j. Mais comme le mot signifiant "chemin" se dit Weg en allemand, il risquait fort d'être écrit Wej lui aussi, pour une prononciation tout à fait différente : le mot signifiant "chemin" a une voyelle longue et très ouverte (dans notre système, on l'écrira Wàj ou Wäj).

J'aurais écrit

  • pour Kerzenweihe : Kerzeweih (le h final de la forme allemande est inutile, mais ne fait de mal à personne)
  • pour Kerzenweg : Kerzewàj ou Kerzewäj, selon le parler.
On voit là l'utilité
  • de distinguer les voyelles [ea] moyennes des voyelles [a] ou [æ] (selon les parlers)
  • de distinguer les diphtongues à premier élément bref - second élément noté i - et les diphtongues à premier élément long - second élément noté j. (v. ei/ej)
  • et (peut-être surtout) de distinguer soigneusement les diphtongues [ai] et [eai]. Après tout on distingue bien laie "coucher" et leie "être couché" ; alors pourquoi ne pas généraliser la distinction, qui est si utile ? (v. ei/ai)

Deuxième exemple : La rue de l'Abreuvoir, à Strasbourg, a été munie d'un panneau en alsacien disant Traenkgas (au lieu de Tränkgass). Passons sur le digramme ae pour ä, qui est un peu triste, mais sans conséquence. La graphie -gas en fin de mot pourrait dans l'absolu être défendable : on pourrait dire que la voyelle longue [å:] serait notée gaas ; mais dans la pratique, gass est d'usage général pour le sens de "rue", et gas sert pour dire "gaz" (avec la voyelle longue). Comme les autres noms de rues sont effectivement orthographiées -gass, on interprète ici Traenkgas "gaz buvable". Encore un méfait de ceux qui considèrent que "ça n'a pas d'importance".