Est-il important d'avoir une orthographe pour l'alsacien ?

Au regard de l'éternité, rien n'est important.

Mais quand on voit quelle combattivité certains sont capables de déployer pour sauver, en français, l'accent circonflexe du mot abime, on peut se demander si les enjeux d'une saine orthographe alsacienne ne sont pas plus importants.

Partons de la situation réelle. On assiste actuellement à ce qu'on appelle un "frémissement" en faveur du dialecte – sans qu'on sache si c'est un chant du cygne ou l'annonce d'une renaissance. Mais la plupart des Alsaciens, aujourd'hui, ne savent plus vraiment l'allemand. Ils ne le lisent pas, ne s'expriment pas couramment en allemand, ne connaissent plus réellement les correspondances les plus habituelles entre la forme allemande standard et la forme dialectale des mots.

Dans ces conditions, la pratique la plus répandue de la graphie de l'alsacien est devenue tout à fait inadéquate, car cette pratique se réfère à l'allemand standard.

Elle s'y réfère

  • soit en notant les différences entre la prononciation dialectale et la prononciation en allemand standard, ce qui n'a d'intérêt que si l'on connait la forme standard ;
  • soit en reprenant simplement les graphies allemandes.

Prenons deux exemples.
(a) Le mot signifiant "table" pourra être écrit, disons, Disch si l'on veut marquer la différence par rapport à l'allemand standard, Tisch si l'on s'appuie sur la forme standard.
(b) Sur les plaques alsaciennes de noms de rues à Strasbourg, on trouve des formes telles que Mueller- ou Müeller-. Il s'agit d'un mot qui, en allemand standard, a la forme Müller, mais qui en dialecte se prononce à peu près [melr] (si nous notons par [e] une voyelle très fermée et brève). La graphie en ue ou üe est motivée uniquement par le fait que le ü se trouve dans la forme standard ; rien, dans la prononciation alsacienne, ne justifie le recours à une lettre comme u ou ü. Pour un lectorat habitué à l'allemand, le rapprochement avec le mot allemand standard se fait spontanément ; pour le public alsacien d'aujourd'hui, il risque de ne plus se faire.

C'est pourquoi il est important d'adopter une orthographe qui

  • indique de façon fiable la prononciation à laquelle on renvoie ;
  • s'appuie sur l'allemand pour tous les choix sans incidence sur la prononciation.

Ce deuxième point se justifie par le souci de ne pas égarer sans nécessité ceux des Alsaciens qui savent un peu l'allemand (ou qui le savent bien – il en existe tout de même !)
(On pourra voir par un exemple l'intérêt que peut présenter une doctrine raisonnée sur l'orthographe alsacienne)

En tout état de cause, ceux qui sont attachés à la langue régionale ne sauraient se désintéresser de l'orthographe alsacienne, car d'elle dépend pour une large part l'impact que peut avoir un texte rédigé en dialecte.